analyse d'un tableau : la Joconde

joconde

 

 

analyse du tableau de Léonard de Vinci

 

La Joconde (1503-1506)

 

Pourquoi La Joconde a-t-elle une renommée mondiale aussi exceptionnelle, exprimant la peinture en général et l'idéal féminin en particulier ? Qu'est-ce qui constitue l'attirance de ce tableau ? En quoi exprime-t-il l'idéal humaniste de la Renaissance tout en prenant des distances avec les lignes de conduite de cette époque ?

On dit souvent que ce tableau est incontournable, mais on dit rarement pourquoi. Comme si le raisonnement échouait par avance à expliquer ce que "cache" une image... Comme si l'intelligence en était réservée à une élite dotée d'une faculté, d'une intuition à saisir - sans en rendre compte - ce que le commun des mortels était incapable de sentir. Non...! La peinture peut se déchiffrer, s'élucider.

L'explication qui suit tient en grande partie à l'analyse et à la vision de Daniel Arasse (1944-2003), dans Histoires de peintures (Folio, 2004). Elle prend aussi comme références les décryptages du site Peintre-Analyse.com et celle du site la-mona-lisa.oldiblog.com.

 

1) désignation et origine du tableau

Le commanditaire de l'oeuvre est Francesco del Giocondo, riche marchand florentin qui s'adresse au peintre le plus célèbre de son temps, Léonard de Vinci. Celui-ci commence à travailler en 1502/1503. La jeune femme est âgée de 23 ou 24 ans et a déjà donné la vie à deux garçons. La famille déménage et le mari, heureux, veut installer dans la nouvelle demeure, le portrait de son épouse.
Finalement Francesco del Giocondo ne reçut jamais La Joconde car le tableau était inachevé quand Léonard quitta Florence pour Milan en 1506. Il emporta l'oeuvre en France en 1516 et mourut au clos Lucé, à côté d'Amboise,  le 2 mai 1519, protégé par François 1er jusqu'au terme de sa vie. Le tableau est resté en France.
Le titre est "La Joconde" ou "Mona Lisa", pour "ma dona" (Madame), simplifié en "Mona" et son premier prénom, "Lisa".

 

2) identification et cadrage des éléments du tableau

Deux parties composent l'ensemble. Le choix est fait de représenter un mi-corps : buste et bras de la jeune femme, assise, positionnée de trois quarts mais pointant son regard vers le spectateur. Elle est assise sur un fauteuil sans dossier dans le cadre d'une loggia : on perçoit le rebord plat d'un muret et la naissance de deux colonnes, à gauche et à droite.
La Joconde est au centre de la composition, reflétant par ce lieu géométrique la place primordiale que l'humanisme accorde à l'individu. Et l'intersection des diagonales désigne le coeur du personnage.

Joconde diagonales coeur


Ce portrait est installé dans l'arrière-plan d'une nature minérale privée de toute présence humaine. Ce qui est assez inhabituel à l'époque de la Renaissance.
La jeune femme est, en effet, encadrée par deux blocs d'une nature plutôt inhospitalière. La partie droite est plus haute que la partie gauche mais on ignore comment s'effectue le passage de l'une à l'autre puisque le visage de Mona Lisa coupe cet arrière-plan (cf. Daniel Arasse).

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identification des éléments du tableau, d'après la lecture de Daniel Arasse
© graphisme Michel Renard

3) la lumière

La lumière provient de la gauche et illumine le visage, la gorge et les mains du personnage. Le choix de vêtements sombres accentue la centralité visuelle des parties éclairées. C'est l'humain qui compte, la vitalité de cette jeune femme opposée à l'incertitude inquiétante du paysage auquel elle tourne le dos.

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d'après Peintre-Analyse.com

4) les couleurs

"Les couleurs chaudes sont réservés au modèle. Les couleurs froides à la nature". (source : Peintre-Analyse.com) Il est plus difficile de le voir aujourd'hui car le tableau s'est assombri.

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5) le sfumato

La douceur, la légèreté, le velouté de l'image sont issus dune technique appelée sfumato, que Léonard de Vinci maîtrisait parfaitement. Cela signifie "enfumé", "vaporeux". Les lignes et les contours disparaissent et semblent se fondre les uns dans les autres grâce à la superposition raffinée de plusieurs couches de peinture. ("glacis") Il en ressort une impression de douceur et de sérénité.

- analyse technique (article du journal Libération du 16 juillet 2010 - extraits)

Glacis superposés. La radiographie elle aussi se révélait impuissante, tant elle était elle-même brouillée : les radios des Vinci sont fantomatiques. Avec le concours du Synchrotron européen de Grenoble, et de Bruno Mottin, spécialiste du laboratoire au Louvre, Laurence de Viguerie et Philippe Walter ont mis au point une méthode de modélisation, fondée sur la «spectrométrie de fluorescence des rayons X», permettant de calculer l’épaisseur de couches infimes de peinture et la composition des pigments. La demi-douzaine de Léonard au musée du Louvre a été analysée, les jours de fermeture, directement dans les salles.
Les chercheurs se sont attachés aux visages, dont le réalisme, la finesse de traits et le dégradé des couleurs témoignent d’une exceptionnelle maîtrise technique. Qui n’avaient jamais pu faire l’objet de prélèvements. L’analyse a révélé que Vinci avait déposé à la surface de sa peinture une superposition de glacis lui permettant d’ombrer subtilement sa composition. Pour Philippe Walter, c’est par ce moyen que Léonard pouvait obtenir à la fois une représentation hyperréaliste de la nature et ses fameux effets vaporeux. Le système fonctionne comme un verre opaque : chaque couche translucide lui permettait de jouer sur des variantes dans les clartés et les coloris.

Il faudrait plutôt parler de films, dont chacun fait 1, 2 ou 3 microns. Léonard pouvait ainsi déposer sur sa peinture jusqu’à trente microcouches, le tout inférieur à une quarantaine de microns, l’épaisseur d’un demi-cheveu. Chaque film demandait un temps de séchage pouvant s’étaler de plusieurs jours à quelques mois, ce qui explique que le biographe des peintres de l’époque, Giorgio Vasari, ait pu affirmer que Léonard avait pu passer «quatre années à travailler sur le portrait de la Joconde, avant de le laisser inachevé», tout en se disant ébahi de sa capacité à rendre des tons «plus noirs que noirs».

Résine et huile. Il n’aurait pas été le seul, ni même le premier, à user de cette superposition de glacis, inventée par les peintres flamands avant d’être introduite en Italie. Il avait cependant su jouer de pigments noirs comme l’oxyde de manganèse pour obtenir son effet «fumé». Auquel il a ajouté, pour certains visages, un soupçon de cuivre pouvant donner un reflet bleuté. Il a aussi retranscrit cette méthode avec la nouvelle technique de l’huile, en utilisant un liant probablement composé d’un mélange de résine et d’huile. L’addition des glacis, et la forte présence de manganèse ou de cuivre, apparaît clairement dans les trois chefs-d’œuvre du Louvre, Monna Lisa, Saint Jean Baptiste, et la Vierge à l’enfant avec sainte Anne. [article du journal Libération]

 

6) le sourire de La Joconde

D'après Daniel Arasse, "c'est Léonard qui a inventé l'idée de faire un portait avec un sourire. Il n'y a pas de portrait souriant avant La Joconde (...)". Il l'explique simplement par l'anecdote historique d'un mari comblé par son épouse qui a lui a donné deux enfants mâles : "tout ce qu'on a élaboré autour du sourire de la Joconde s'effondre devant l'analyse historique" (p. 35-37).

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7) le lien entre le sourire et le paysage

"Mais ce n'est pas ce qui fait que ce sourire est fascinant. Je crois que la raison est plus profonde, et il m'a fallu du temps pour percevoir ce que j'en percevais. En fait, ce qui me fascine, c'est ce qui lie profondément la figure au paysage de l'arrière-plan.
Si vous regardez bien ce dernier, vous vous rendrez compte qu'il est incohérent, c'est-à-dire que dans la partie droite, du point de vue du spectateur, vous avez des montagnes très hautes, et tout en haut un lac, plat comme un miroir, qui donne une ligne d'horizon très élevée.
Dans la partie gauche, au contraire, le paysage est beaucoup plus bas, et il n'y a pas de moyen de concevoir le passage entre les deux parties. En réalité, il y a un hiatus, caché, transformé par la figure elle-même et par le sourire de la Joconde. C'est du côté du paysage le plus haut que sourit la Joconde. La bouche se relève très légèrement de ce côté-là, et la transition impossible entre les deux parties du paysage se fait dans la figure, par le sourire de la figure." (Daniel Arasse, p. 37-38).

 

8) l'interprétation du sourire : le temps qui passe, la grâce et le chaos

"Vous me direz, et alors ? Eh bien, je crois qu'à ce moment-là il faut avoir lu les textes de Léonard, se rappeler qu'il était un grand admirateur d'Ovide et de ses Métamorphoses, et que pour Léonard comme pour Ovide - c'est un thème classique et courant -, la beauté est éphémère.
Il y a de fameuses phrases d'Hélène chez Ovide à ce sujet : «Aujourd'hui, je suis belle mais que serai-je dans quelque temps ?».
C'est ce thème-là que traite Léonard avec une densité cosmologique assez extraordinaire, car La Joconde c'est la grâce, la grâce d'un sourire. Or, le sourire est éphémère, ça ne dure qu'un instant. Et c'est ce sourire de la grâce qui fait l'union du chaos du paysage qui est derrière, c'est-à-dire que du chaos on passe à la grâce, et de la grâce on repassera au chaos.
Il s'agit donc d'une méditation sur une double temporalité, et nous sommes là au coeur du problème du portrait, puisque le portrait est inévitablement une méditation sur le temps qui passe. [...] On passe donc, avec ce sourire éphémère de La Joconde, du temps immémorial du chaos au temps fugitif et présent de la grâce, mais on reviendra à ce temps sans fin du chaos et de l'absence de forme." (Daniel Arasse, p. 38-39)

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le cercle rouge indique ce mouvement du sourire éphémère
au temps immémorial du chaos

 

9) le pont

"Restait ce pont dont je ne comprenais pas la présence jusqu'au moment où j'ai lu Carlo Pedretti, le grand spécialiste de Léonard de Vinci, capable d'écrire comme lui de la main gauche et à l'envers. C'est un homme admirable qui a passé toute sa vie avec Léonard de Vinci.
À propos de cette interrogation sur la présence du pont, il dit une chose très simple à laquelle je n'avais pas pensé, à savoir que c'est le symbole du temps qui passe ; s'il y a pont, il y a une rivière, qui est le symbole banal par excellence du temps qui passe. C'est un indice donné au spectateur que l'étrangeté du rapport entre ce paysage chaotique et cette grâce souriante est le temps qui passe. Le thème du tableau c'est le temps.
C'est aussi pour cette raison que la figure tourne sur elle-même, car un mouvement se fait dans le temps... Et l'analyse peut repartir à ce moment-là. Le tableau est fascinant parce que sa densité et sa sobriété font qu'il n'arrête pas de renvoyer la réflexion et le regard au regard..." (Daniel Arasse, p. 39-40).

"Le thème du tableau c'est le temps"

 

10) un idéal de l'humanisme ?

En quoi La Joconde exprime-t-elle l'idéal de la Renaissance et de l'humanisme ? Léonard a donné de l'idéal de l'humanisme une vision peut-être plus profonde que certains de ses contemporains qui représentaient des personnages dans un environnement plus coloré, plus humain et avec une profusion d'éléments naturels plus rassurants (Botticelli, Ghirlandaio, Piero di Cosimo...).
Léonard de Vinci a inséré le portrait d'un femme souriante (la vie, la grâce) dans la philosophie d'une nature qu'il sait toute-puissante sans que l'on sache vraiment la part que le divin peut prendre au cycle du temps qui passe mais auquel l'homme peut échapper quelques instants.
La peinture disait Léonard de Vinci est cosa mentale (une chose mentale), donc une méditation.


La Joconde est une oeuvre humaniste parce ce que :
1) le modèle, en l'occurrence une femme, est au centre du tableau ;
2) son sourire et sa quiétude sont le signe de la confiance dans l'humanité de l'homme dégagée des terreurs d'un certain discours religieux apocalyptique tel celui de Savonarole (1452-1498) ;
3) le sourire et la simplicité du modèle (sans vêtements rutilants, sans bijoux...) replacent l'homme (la femme) au coeur d'une vie sans artifice ; ces éléments lui donnent une dimension quasi universelle dans laquelle on peut se reconnaître aujourd'hui encore ;
4) si l'humanisme fait de l'homme l'axe d'une dignité nouvelle, il n'en fait pas un nouveau dieu auto-suffisant.

Michel Renard
professeur d'histoire

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La Joconde serait un homme

Des chercheurs italiens spécialisés dans la levée des mystères artistiques ont affirmé mercredi qu'un jeune homme avait servi de modèle pour La Joconde, une thèse qui laisse sceptiques les experts du Louvre.

Silvano Vincenti, président du Comité national pour la valorisation des biens historiques, a assuré devant la presse étrangère à Rome qu'un jeune assistant de Léonard de Vinci, le génie de la Renaissance, appelé Salai fut le modèle du célèbre portrait de Mona Lisa. Salai, de son vrai nom Gian Giacomo Caprotti, entré au service de l'artiste à 16 ans et resté 25 ans à ses côtés, aurait été sa muse et son modèle pour plusieurs tableaux. Selon M. Vincenti, les deux hommes entretenaient une relation "ambiguë" et étaient probablement amants.

M. Vincenti a fait état de fortes similitudes entre les traits des visages des protagonistes du Saint Jean Baptiste et L'Ange incarné avec le nez et la bouche de Mona Lisa. Pour ce chercheur, le peintre avait laissé des indices en peignant dans les yeux de La Joconde un minuscule L pour Leonardo et un S pour Salai.

Le chercheur, auteur d'un livre sur le sujet, a dit que son équipe s'était fondée sur l'analyse de reproductions numériques de haute qualité. Mais les affirmations de M. Vincenti sont contestées par le Louvre, propriétaire de la Joconde. Le musée rappelle que "le tableau a été soumis à toutes les analyses de laboratoire possibles en 2004 et en 2009. Aucune inscription (lettre ou chiffre) n'a été décelée lors de ces examens". "Le vieillissement de cette peinture sur bois a provoqué un grand nombre de craquelures dans la matière picturale, qui sont à l'origine de nombreuses formes qui ont souvent été l'objet de sur-interprétations", a-t-il souligné.

Le musée a en outre indiqué "ne pas avoir eu communication de pièces démontrant ces nouvelles hypothèses". M. Vincenti, dont l'équipe s'était fait connaître en juillet en identifiant les restes du Caravage, a mis cette réaction sur le compte de l'embarras. "Je comprends leur incrédulité et leur surprise, au fond c'est la peinture la plus étudiée au monde (..) ils sont vraiment aveugles", a-t-il dit. Appelant les spécialistes du Louvre à "être sérieux et reconnaître" qu'ils se trompent, il a offert sa collaboration avec l'envoi d'une équipe pour faire "des prélèvements de petits fragments de peinture" là où se trouveraient les chiffres et lettres "pour voir s'ils ont été faits à l'époque ou sont apparus avec le temps".

(L'essentiel Online/AFP)
3 février 2011 13:20

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